Camps d'internement dans la Vienne
La cote 109 W des Archives départementales de la Vienne ne correspond ni à un fonds, ni à un versement. Riche de 423 articles, représentant 23,6 mètres linéaires, cet ensemble de documents a été composé à partir de plusieurs versements effectués aux Archives par différents producteurs. On y trouve des documents produits par : -la préfecture de la Vienne (291 articles pour 15,54 mètres linéaires) – émanant principalement du deuxième bureau de la première division (pour un total de 283 articles représentant 15, 3 mètres linéaires), mais aussi du troisième bureau de la première division, du premier bureau de la deuxième division, et des deux premiers bureaux de la troisième division, -le service des Bâtiments départementaux (3 articles, 5 centimètres linéaires), -la sous-préfecture de Châtellerault (13 articles pour 14 centimètres linéaires), -quatre camps d'internement de la Vienne : camp de Poitiers-route de Limoges (66 articles, 4,43 mètres linéaires), camp de Rouillé (34 articles, 2,11 mètres linéaires), camp de Poitiers-La Chauvinerie (10 articles, 90 centimètres linéaires) et de Châtellerault (6 articles, 49 centimètres linéaires). Ces documents ont été réunis autour du thème de l'internement dans la Vienne au cours de la Seconde guerre mondiale ; ils concernent non seulement les camps d'internement eux-mêmes, mais aussi différentes questions qui y sont liées, comme les affaires juives pendant l'Occupation, ou l'Epuration à la Libération. Contexte de production des documents Pendant l'Occupation En juin 1940, suite à l'invasion allemande, la Vienne est traversée du nord au sud par la ligne de démarcation. Le préfet, installé à Poitiers, conserve l'administration de la partie occupée du département (la sous-préfecture de Montmorillon est rattachée administrativement à Limoges). Représentant de l'Etat français, il y exerce sa charge au nom du gouvernement de Vichy ; la présence de l'occupant pèse également sur ses décisions. Le régime de Vichy remet à l'honneur la fonction préfectorale : interlocuteur privilégié de l'administration centrale et son principal relais, le préfet est au cœur de l'organisation administrative locale. La loi du 23 décembre 1940 en fait le seul représentant dans le département du chef de l'Etat ; responsable devant le président du Conseil des ministres, il est chargé dans le département de l'application des décisions du gouvernement et de la surveillance de l'exécution des lois. Les pouvoirs concentrés entre ses mains s'appliquent notamment dans le domaine de l'internement administratif et dans les « affaires juives ». Vichy hérite de la IIIe République d'importantes dispositions législatives relatives à l'internement. Le décret-loi du 12 novembre 1938 avait donné aux préfets le pouvoir d'interner les étrangers indésirables ; cette mesure avait notamment été utilisée pour faire face à l'arrivée massive d'exilés espagnols au début de 1939. La loi du 18 novembre 1939, votée en état de guerre, avait élargi cette possibilité à tout individu, étranger ou non, suspecté de porter atteinte à la défense nationale ou à la sécurité publique. Ne connaissant aucune borne, cette mesure ne relève pas de la procédure judiciaire, mais est entièrement aux mains du préfet : on parle d'internement administratif. L'essentiel de ces dispositions est repris par Vichy dans la loi du 3 septembre 1940. Maître de l'internement administratif, le préfet reçoit dans la foulée la gestion locale des camps d'internement, qui passent de la tutelle du ministère de la Guerre à celle du ministère de l'Intérieur (loi du 17 novembre 1940). La création de préfets régionaux aux pouvoirs de police élargis (loi du 19 avril 1941), ne change pas la donne, même si ceux-ci ont tendance à intervenir dans les affaires du département où ils sont installés. C'est le cas dans la Vienne, où Poitiers devient capitale de région . Dans un premier temps, l'internement administratif ne joue qu'un rôle marginal dans la stratégie de l'occupant (celui-ci exige toutefois l'internement des nomades, dans la zone occupée, dès décembre 1940). En revanche, il constitue un moyen important pour l'Etat français dans sa politique de régénération de la société. Il l'emploie contre les opposants politiques (notamment contre les communistes), les déviants et les juifs. Les préfets tiennent par ailleurs un rôle central dans l'application de la législation juive de Vichy ; en zone nord, ils doivent aussi compter dans ce domaine avec les volontés de l'occupant. Dès le 27 septembre 1940 une ordonnance allemande y prescrit un recensement systématique de la population israélite ; Vichy prend de son côté des dispositions analogues, avec les deux statuts des juifs en 1941 et 1942. Des mesures discriminatoires sont mises en œuvre, comme le port de l'étoile jaune obligatoire pour tout juif âgé de plus de 6 ans en zone nord (7 juin 1942). Les camps d'internement, tenus par l'administration préfectorale, servent de lieux de regroupement des juifs arrêtés à partir de juillet 1941. Ce rôle ne fait que croître avec l'application, à partir de 1942, d'une politique systématique de collaboration d'Etat : les camps deviennent une pièce maîtresse dans la déportation vers Drancy, puis vers les camps d'extermination en Allemagne. Le département de la Vienne est particulièrement concerné dans ce domaine. Les aléas de la guerre l'ont en effet doté d'une population juive importante. Au déclenchement de la guerre, il sert de département de replis pour les Mosellans. Les réfugiés comptent de nombreux juifs, dont le rabbin Elie Bloch ; les étrangers israélites sont nombreux, notamment les Allemands et les Polonais fuyant les persécutions. De plus, la Vienne a dû accueillir, à l'automne 1940, les populations, notamment juives (mais aussi nomades) interdites de séjour en Gironde et dans la zone littorale. En novembre 1941, on dénombre environ 1400 juifs dans le département. Face à ces charges qui lui incombent, notamment la gestion des deux camps que compte le département à cette époque, la préfecture de la Vienne doit s'organiser, sans que soit procédé, dans un premier temps, à une nouvelle répartition des attributions entre ses bureaux. Le deuxième bureau de la première division, dévolu jusqu'alors à la comptabilité générale des ministères (arrêté préfectoral du 23 juin 1938), semble plus particulièrement chargé du suivi des camps d'internement. L'arrêté préfectoral du 16 septembre 1941, pris par le nouveau préfet, Louis Bourgain, affecte à la première division l'administration générale et la police. Le deuxième bureau reçoit, entre autres attributions, les questions juives et les mesures de police relatives aux camps de concentration. Leur administration est théoriquement confiée au deuxième bureau de la division des Services annexes nécessités par l'état de guerre ; dans les faits, le deuxième bureau de la première division assume la gestion complète des camps (notamment en ce qui concerne l'attribution des secours aux familles des internés, sous forme d'allocations militaires), en rapport étroit avec le bureau du cabinet, pour les questions de personnel. En avril 1943, la tutelle des camps d'internement est confiée au préfet délégué de la Vienne, le préfet étant par ailleurs chargé des fonctions de préfet régional. Pendant l'Occupation, deux camps sont en service dans la Vienne. Le plus ancien est établi à Poitiers ; installé le long de la route nationale n° 147, qui lui donne son nom (on parle souvent de « camp de la route de Limoges »), il ouvre dès février 1939 pour les réfugiés espagnols évacués vers l'arrière. Il compte alors une quinzaine de baraquements en bois. En décembre 1940, les autorités allemandes exigent de la préfecture qu'il serve à l'internement des nomades expulsés de la Gironde. En juillet 1941 y sont regroupés les juifs arrêtés ; il sert jusqu'en 1944 de lieu de concentration pour les juifs avant leur déportation vers Drancy. En raison de l'engorgement de prison de la Pierre-Levée à Poitiers, on y installe également, à partir d'octobre 1943 et jusqu'en septembre 1944, un quartier pénitentiaire pour détenus de droit commun, ainsi que pour des individus internés à la demande des autorités d'occupation. Le camp de Poitiers-route de Limoges compte jusqu'à 800 internés. Un autre camp est aménagé en mai 1941 sur la commune de Rouillé (canton de Lusignan) le long de la voie ferrée Poitiers-Niort, non loin de la gare. On adjoint neuf baraques aux neuf initialement prévues pour l'accueil des réfugiés de Moselle. Le camp entre en fonction en septembre 1941, lorsqu'il reçoit 150 communistes raflés dans la région parisienne et jusqu'ici internés à Aincourt (Seine-et-Oise). Il se spécialise ensuite dans l'internement des politiques, droit-commun, indésirables et trafiquants du marché noir. Les transferts de meneurs communistes vers Compiègne sont nombreux. Le 11 juin 1944, le camp subit une attaque des Forces françaises de l'Intérieur, qui libèrent une partie des internés politiques. Devant l'insistance des autorités allemandes, la préfecture décide alors la fermeture du camp : les internés (et les documents qui les concernent) sont transférés vers le camp de Poitiers-route de Limoges ; le camp est fermé en août. On peut noter enfin que le pavillon Dalesme de l'Hôtel Dieu, en centre ville, est aménagé dès 1942 en quartier réservé à l'hospitalisation des internés, qu'ils proviennent des camps de Rouillé ou de Poitiers. A la Libération La libération du territoire national n'entraîne pas, loin s'en faut, la fin de l'internement administratif. Ce dernier tient en effet une place capitale dans le processus d'épuration qui s'enclenche alors. Il est utilisé pour assurer la sécurité de la nation contre les ennemis susceptibles de menacer la lutte libératrice sur les arrières, mais aussi la protection contre une vengeance populaire immédiate des suspects ou des coupables de collaboration avec l'ennemi. Le préfet use par ailleurs de son pouvoir d'assigner à résidence ailleurs que dans un camp d'internement, ou bien d'interdire de séjour un individu sur une zone géographique donnée. Même s'il a autorisé la poursuite de l'internement administratif, le gouvernement est animé du désir d'assurer un retour rapide à la légalité républicaine ; il insiste donc sur le caractère exceptionnel de la procédure, et enjoint que soient mises en place, dans les départements, des commissions de vérification qui examinent les dossiers des internés et proposent soit leur libération, soit leur déferrement devant les cours de justice. Les camps d'internement ne servent pas qu'à l'Epuration : ils sont également utilisés pour emprisonner les individus suspects de menées hostiles, dans les zones de combat. De nombreux individus, Allemands et Français, sont ainsi arrêtés en Alsace-Lorraine, puis en Allemagne, à mesure que les troupes y prennent pied ; d'abord regroupés dans des camps alsaciens (notamment à Schirmeck et au Struthof), ces prisonniers de guerre sont envoyés vers des camps installés à l'arrière. L'ordonnance du 29 février 1944, qui attribue au commissaire régional de la République le pouvoir d'interner, confirme le rôle de la préfecture dans l'administration des camps. Le deuxième bureau de la première division reste en charge, comme pendant l'Occupation, de leur gestion. L'arrêté préfectoral du 9 août 1945 attribue au deuxième bureau de la première division l'ensemble de la gestion des centres de séjour surveillés (matériel, aménagement, contrôle des effectif, réception des rapports périodiques des directeurs de camp, aspects de discipline intérieure, nomination, avancement et révocation du personnel). Le deuxième bureau reçoit également la charge des relations entre la préfecture et les cours de Justice, notamment en ce qui concerne les libérations conditionnelles. La période suivant la Libération voit quatre camps fonctionner dans la Vienne. Les deux camps ouverts pendant la guerre sont réutilisés, avec une grande continuité dans leur gestion par la préfecture. Le camp de Poitiers-route de Limoges accueille dès le 6 septembre 1944 des collaborateurs présumés. En activité jusqu'au 31 octobre 1945 (même s'il est question de le fermer dès mars), il est affecté le 21 novembre 1945 au casernement de la Compagnie républicaine de sécurité n° 91. Celle-ci quitte les lieux le 20 décembre 1946. Le camp de Rouillé, fermé à l'été 1944, reprend du service en septembre 1944. Dissout en février 1945, il rouvre ses portes, sous administration militaire, en mai, pour les recevoir des prisonniers de guerre. En septembre 1946, il est mis à disposition de l'administration pénitentiaire, qui en fait un lieu de détention pour les femmes condamnées par la Cour de justice. Le centre ferme définitivement en octobre 1947. Pour faire face aux besoins accrus de lieux de détention, deux camps sont créés en sus. Le camp de Châtellerault est ouvert au mois de septembre 1944 par les Forces françaises de l'Intérieur, dans les locaux de la caserne De Laage. En novembre, il passe aux services pénitentiaires, donc sous tutelle préfectorale ; il déménage dans l'ancien collège de garçons, en centre-ville. L'installation accueille des suspects, hommes et femmes, arrêtés pour la plupart sans ordre préfectoral ; leur statut pose des problèmes de régularité importants. La gestion du camp de Châtellerault est en partie déléguée par le préfet de la Vienne au sous-préfet, par ailleurs chargé de la surveillance de l'épuration dans son arrondissement : il reçoit les rapports du directeur du camp, contrôle les effectifs, veille au recrutement et à la gestion du personnel, ainsi qu'aux conditions de vie des détenus. Le camp ferme en mars 1945 : les internés sont alors dirigés vers le camp de Poitiers-route de Limoges. Un autre camp ouvre en septembre 1944 à Poitiers, dans les faubourgs ouest, au lieu-dit La Chauvinerie. Dans un premier temps sous administration militaire, il est mis à disposition, en janvier 1945, du ministère de l'Intérieur pour servire à la détention de suspects (Allemands principalement) arrêtés sur le front. Les premiers internés arrivent au camp en février. La préfecture procède, au fur et à mesure des vérifications, au rapatriement de ces prisonniers. Le camp est dissout en décembre 1945. Par la période qu'il concerne (Occupation et Libération), ainsi que par les sujets qu'il permet d'aborder, l'ensemble 109 W est revêtu d'un intérêt historique évident. Comportant des documents rédigés en langue allemande (circulaires de l'autorité allemande, éléments de correspondance émanant de la Feldkommandantur 677 – le plus souvent traduits – , listes et rapports – bilingues –) ainsi qu'un ensemble de 32 photographies, il permet d'appréhender les modalités d'application dans la Vienne occupée de la législation anti-juive, ainsi que certains aspects de la période sensible de l'Epuration ; mais il est surtout possible, par son intermédiaire, de connaître le fonctionnement des camps d'internement dans la Vienne au cours de la période. Les documents peuvent être exploités à différents titres, dont on se borne ici à ne donner que des pistes. Ces archives sont souvent tout ce qui reste de tangible de l'existence des camps d'internement : le camp de Poitiers-route de Limoges a totalement disparu, remplacé par des immeubles avenue Jacques-Cœur (seule une plaque en perpétue la mémoire) ; des installations en bois du camp de Rouillé il ne subsiste rien ; le souvenir de l'utilisation comme centre d'internement de la caserne de La Chauvinerie à Poitiers, de la caserne De Laage et de l'ancien collège de garçons de Châtellerault est largement perdu, même pour la population locale. Les documents permettent à un large public d'approcher l'univers des camps, ceux et celles qui les peuplaient, les conditions de vie qui y étaient de rigueur, ainsi que le rôle joué par les autorités françaises pendant l'Occupation. Les archives regroupées sous la cote 109 W sont riches, et se prêtent bien à une exploitation par l'historien. Les importantes séries de dossiers individuels (internés et personnels) autorisent une approche statistique ; les données fournies par ces séries peuvent être confrontées aux nombreux autres documents que recèlent les différents fonds. Par ailleurs, si le camp de Poitiers-route de Limoges a fait l'objet d'études approfondies, les monographies des camps de Rouillé, Poitiers-La Chauvinerie et Châtellerault restent à écrire. Enfin, ces documents peuvent s'avérer utiles au lecteur en quête de ses origines, ou qui, ayant eu a souffrir, personnellement ou au travers de sa famille, des vicissitudes de cette période troublée, souhaite faire établir ses droits. Afin de tirer parti au mieux des documents, le lecteur, quelle que soit son approche, doit mettre à profit la complémentarité des documents. Le sommaire lui permettra d'avoir une vue générale du plan de classement ; d'autre part, il trouvera en fin du répertoire une table de concordance des cotes de 109 W avec celles de 104 W, une table des noms de lieux, ainsi qu'un index alphabétique. Archives publiques Accès libre
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